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L’économie bleue sur la vague de la durabilité
Les efforts visant l’instauration d’une économie bleue dynamique et durable à Madagascar se poursuivent. Des résultats probants ont été obtenus, mais de nombreux défis restent encore à relever.
Selon les spécialistes, l’économie bleue se traduit par l’exploitation de toutes les étendues d’eau maritimes et intérieures et de leurs ressources pour la croissance économique, tout en préservant les écosystèmes. Une définition qui met l’accent sur la conservation des habitats écologiques et des espèces associées, avec une attention particulière à l’exploitation et à l’utilisation durable des ressources au bénéfice de l’économie et des populations locales. Dernièrement, le ministère de la Pêche et de l’Économie bleue de Madagascar, lors de la présentation de son bilan pour 2024, a rappelé ce principe avant de souligner les avancées enregistrées par le pays en matière d’économie bleue. Elles vont des évolutions dans l’aquaculture aux infrastructures, en passant par la lutte contre la pêche illégale et l’accompagnement des acteurs du secteur.
Les ambitions pour 2025 ont aussi été mises en avant. Ces perspectives s’orientent vers la modernisation, la formation et la promotion renforcée de l’économie bleue, un secteur qualifié de crucial pour assurer un développement inclusif et durable. Parmi les priorités figurent la production de plus de quarante millions d’alevins et l’installation de mille cinq cents étangs piscicoles. La surveillance maritime devrait aussi être renforcée avec l’acquisition de drones et la mobilisation de vingt-et-une flottilles. À cela s’ajoute la mise en place de mécanismes de financement pour soutenir les entrepreneurs du secteur, la création d’une école des pêches à Faux Cap, dans la région Anosy, et l’établissement d’un atlas maritime.
L’économie bleue occupe en effet une place essentielle dans l’économie du pays, contribuant à plus de 7 % de son produit intérieur brut (PIB). Plus de 10 % si l’on inclut les activités portuaires et le tourisme bleu. En 2024, ce secteur a réalisé des progrès notables, avec des exportations halieutiques atteignant 26 541 tonnes, générant 731 milliards d’ariary. On sait en outre que 2 272 permis de collecte ont généré 3,8 milliards d’ariary en redevances, tandis que 122 licences de pêche ont rapporté 30,1 milliards d’ariary. Selon les explications fournies, cette performance repose aussi sur une amélioration des infrastructures et un appui technique renforcé. La Grande Île comptabilise actuellement 11 392 sites aquacoles fonctionnels, soutenus par des programmes de formation et la distribution de 57 144 intrants piscicoles.
Plusieurs recommandations émises
De leur côté, les partenaires techniques et financiers reconnaissent les efforts consentis par le ministère de tutelle pour booster la croissance du secteur et assurer sa durabilité. Mais ils estiment que le pays peut encore mieux faire. C’est dans cette perspective que le WWF, organisation mondiale de protection de la nature très active à Madagascar depuis des décennies, a émis des recommandations qui devraient structurer l’avenir de l’économie bleue dans la Grande île.
Les premières indications sont axées sur la préservation et la restauration des habitats écologiques pour assurer la productivité, l’intégrité et la connectivité des écosystèmes. Précision a été donnée qu’un cadre d’identification des écosystèmes marins et côtiers, des habitats, de la biodiversité et des espèces de Madagascar doit être mis à jour pour renforcer les priorités de conservation.
L’ONG note en outre que les actions de gestion et de conservation doivent renforcer et reconnaître les droits des communautés côtières, qui jouent un rôle central dans le développement de l’économie bleue et de la gouvernance locale. Et afin de promouvoir le financement bleu à long terme, il est indispensable de mettre en œuvre des mesures plus strictes visant à prévenir les activités illégales telles que la pêche INN, tout en mettant en œuvre des mesures robustes et de précaution qui protègent les océans contre les impacts écologiques potentiels.
Planification de l’espace marin
Il est également recommandé de réorienter le financement vers des activités plus durables. « Des mécanismes durables axés sur le financement et le développement du marché améliorent les chaînes de valeur et favorisent les initiatives de financement innovantes », a-t-on souligné avant de noter que les décisions doivent être fondées sur la recherche et la science afin d’améliorer la disponibilité des données et la prise de décision.
À savoir cependant que pour faire progresser l’économie bleue durable, Madagascar ne part pas de zéro. Diverses initiatives ont déjà été entreprises. Elles soutiennent, entre autres, l’expansion et la consolidation du réseau d’aires marines protégées et aident à établir des priorités de conservation pour les zones clés de biodiversité identifiées. Rappelons aussi que Madagascar a signé la charte établissant le Centre de coordination du contrôle et de la surveillance de la SADC (Monitoring Control and Surveillance Coordination Centre – MCSCC), dédié à la lutte collective contre la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN).
Outre les principes de l’économie bleue durable, la mise en œuvre de la planification de l’espace marin (MSP) est considérée comme un moyen de maintenir l’équilibre entre la conservation de l’environnement et le développement économique. Celle-ci fait référence à un processus qui prend particulièrement en compte les principes de gestion intégrée basés sur les écosystèmes, les droits de l’homme et le changement climatique. Dans la région Diana, par exemple, une centaine de parties prenantes ont été identifiées et consultées, notamment des institutions gouvernementales, des membres du secteur privé, des acteurs de la société civile. Dans ce cadre, le processus MSP sert de pont entre les communautés et les décideurs politiques, permettant aux représentants des communautés de faire entendre leur voix et de voir leur point de vue pris en compte et traité dans l’établissement de cadres politiques marins.
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L’économie bleue fait vivre plus de 1,5 million d’habitants à Madagascar. |
Parier sur l’inclusion
Il est aussi fait remarquer que le principe d’inclusion ne concerne pas seulement la gouvernance des océans, il s’applique à tous les aspects. Un exemple qui place les communautés côtières au centre des flux financiers durables sur le littoral de Mahafaly, dans le sud-ouest de Madagascar, avec la culture d’algues, illustre cet aspect. Dans cette partie d’île, les communautés bénéficient d’une formation, d’un renforcement des capacités et d’un don d’équipement pour s’assurer que leur production est conforme aux normes. Ce partenariat gagnant-gagnant avec le privé assure des revenus stables aux communautés tout en compensant la perte de revenus liée aux événements météorologiques ou aux effets du changement climatique sur leurs moyens de subsistance.
Lorsque les communautés pratiquent l’agriculture en bord de mer, on estime que les pressions exercées sur les récifs diminuent, ce qui permet le renouvellement des stocks de poissons. Elle assure également une production durable d’algues à exporter, garantissant l’entrée de devises étrangères et développant l’esprit d’entreprise. « L’économie bleue durable est en marche à Madagascar, depuis le Blue Policy Letter du pays rédigée en 2015 jusqu’à la création de son ministère de la Pêche et de l’Économie Bleue en 2021. Avec une approche intersectorielle et intégrée, le pays progressera sûrement vers la réalisation de la cible 6 de l’Objectif de Développement Durable 14 en mettant l’accent sur la coordination entre les différents secteurs et acteurs impliqués dans l’économie bleue, afin de maximiser les bénéfices économiques tout en préservant l’intégrité des écosystèmes », a constaté le WWF.
PÊCHE ET AQUACULTURE -Un secteur stratégique
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La Grande île possède 1 144 000 km2 de Zone Économique Exclusive. |
Avec 5 603 km de côtes, 1 144 000 km² de Zone Économique Exclusive, 155 000 ha de lacs, quarante fleuves et rivières avec une longueur totale de plus de 9 000 km, Madagascar dispose de très importants potentiels en matière de ressources halieutiques et d’économie bleue. Le seul secteur pêche représente 5,5 % du PIB national et un apport aux recettes non fiscales de l’État de plus de 10 milliards d’ariary de redevance. De plus, c’est un secteur qui contribue à la sécurité alimentaire et nutritionnelle constituant environ 20 % de la consommation de protéines animales. Créant trois cent mille emplois directs et indirects, la pêche et l’aquaculture font vivre près d’un 1,5 million d’habitants.
Pour une gestion et exploitation durable de ces potentiels, le gouvernement a marqué sa volonté politique par la mise en place d’un département ministériel dédié. Ses attributions consistent à concevoir, mettre en œuvre et coordonner la politique générale de l’État relative à la promotion de l’économie bleue et à l’utilisation durable, juste, équitable et responsable des ressources marines et halieutiques. Le Code de la Pêche et de l’Aquaculture constitue un cadre de référence garant de cette initiative de bonne gouvernance du secteur.
Plusieurs initiatives majeures visant à renforcer le secteur halieutique et à promouvoir l’économie bleue du pays ont été engagées depuis le début de cette année. Notons en premier l’inauguration d’une usine d’aliments pour poissons de la société Arbiochem à Ambohimangakely. Selon le ministre de tutelle, Dr Paubert Mahatante, cette unité de production à grande échelle dédiée à la fabrication d’aliments pour carpes et tilapias, est la première du genre dans le pays. Avec une capacité annuelle de 10 000 tonnes, cette usine vise à soutenir le développement de l’aquaculture durable à Madagascar, réduisant ainsi la dépendance aux importations et renforçant l’autosuffisance alimentaire en poissons.
Le membre du gouvernement a souligné à cette occasion l’importance de rapprocher la production des consommateurs pour garantir des prix compétitifs et assurer la sécurité alimentaire pour les populations de la Grande île. Par ailleurs, face à une demande mondiale en forte croissance. Il a mis en avant surtout l’élevage de crabes comme solution pour compléter la pêche sauvage et assurer une offre régulière, tout en préservant les écosystèmes naturels tels que les mangroves. Des partenariats avec des pays experts en aquaculture, comme les Philippines et le Vietnam, sont envisagés pour moderniser les pratiques et augmenter la production nationale.
Rappel a aussi été fait de la nécessité de former et de sensibiliser les nouveaux pêcheurs, souvent d’anciens agriculteurs reconvertis en raison de la sécheresse, aux règles sécuritaires et aux prévisions météorologiques. Le ministre a également mentionné la construction d’une école de pêche dans l’Androy pour renforcer ces efforts.
À signaler enfin la tenue, cette année, à Madagascar du Forum des Jeunes Africains sur l’Économie bleue (FOJAEB). L’événement sera coorganisé au mois d’avril 2025 par le ministère de la Pêche et de l’Économie bleue et l’Organisation Panafricaine de la Jeunesse pour l’Économie Bleue. « Ces actions illustrent notre engagement à dynamiser le secteur de la pêche et de l’économie bleue à Madagascar, en mettant l’accent sur l’innovation, la durabilité, l’inclusion des jeunes et la sécurité des communautés de pêcheurs», a aussi déclaré le Dr Paubert Mahatante.
VERBATIM
Manuel Barange, directeur de la division des pêches et de l’aquaculture de la FAO
« Notre stratégie est claire. Lorsque nous dialoguons avec les pays, nous évaluons le cadre juridique et l’environnement politique à l’appui du développement de l’économie bleue. Nous cherchons à attirer les investissements en collaborant avec le secteur privé. Les initiatives de renforcement des capacités assurent le transfert des connaissances techniques, tandis que le développement des infrastructures est coordonné avec les pays et les organismes de financement, notamment pour ce qui est des filets de sécurité liés à la lutte contre les maladies et des enjeux environnementaux ».
Rado Rakotosoa, directeur général de l’Économie bleue
« Madagascar intensifie ses efforts visant à promouvoir l’économie bleue durable avec un accent particulier sur la formation et le soutien aux projets liés à la pêche et à l’aquaculture. Dernièrement, un accord de partenariat stratégique a été signé avec le Fonds Malagasy de Financement pour la Formation Professionnelle (FMFP). Cette coopération élargit le soutien aux associations en charge de la gestion et de l’exploitation des infrastructures mises en place par le MPEB. Un plan de coordination et de suivi sera établi pour assurer la durabilité des initiatives ».
L’ÉCONOMIE BLEUE EN CHIFFRES
Source : L’Express de Madagascar